Milena
Je vous remercie tous de tout cœur d’être ici. Pendant tous les préparatifs, je me suis sentie si proche de maman, et j’ai essayé de faire à sa façon, véritablement heureuse de pouvoir lui offrir sa dernière fête. Je suis très touchée de vous voir si nombreux, à l’image de qui était maman, des traces qu’elle a laissées.
Aujourd’hui je ne parlerai pas de son enfance, de sa jeunesse, que je n’ai pas connu. J’ai envie de vous parler de ces dernières années, où nous nous sommes retrouvées, plus proches que jamais.
Comme il me parait toujours impossible que maman, une femme tellement pleine de Vie, d’envie, de Passions, d’Énergie, de persévérance, soit partie si tôt, je tiens à vous témoigner ses dernières années et son départ. Sa façon de gérer la situation fût une leçon de vie tout à fait incroyable, elle m’a bien souvent impressionnée par son Courage et son acceptation, dénué de tout fatalisme.
Le 14 février 2019, maman a appris – lors d’un contrôle médical de routine – qu’une tâche suspecte s’était nichée dans son pancréas. Se sont enchaînés des rdv médicaux de tout genre, des médecins de toute sorte, différents diagnostics, différents traitements.
La vie de maman a changé doucement… quoique. Nous avons voyagé à Madère, célébré notre mariage, elle a rendu visite à tous ses amis. Elle a arrêté de travailler pour les PRE, bien à contrecœur. Elle a fait le voyage dont elle a tant rêvé, en transsibérien, juste avant le premier Confinement, la fermeture des frontières. Puis elle est devenue mamie. Elle a trimballé mon papa Klaus à Paris en période de Covid voir 15 amis par jour, lui qui n’avait vu personne depuis des mois. Les jours de grande forme, elle continuait d’avoir le quintuple de mon énergie. Les mauvais jours, elle était mal. Mais toujours dans l’instant, sans peur du futur.
Son état en dents-de-scie, les hauts et les bas se succédaient.
Nous étions ensemble dans ces montagnes russes émotionnelles, titubant entre nos peurs et nos espoirs. Nous étions tiraillées entre l’envie de se battre, de comprendre les médecins, de faire les bons choix et puis l’acceptation de ce qui allait arriver, de sa mort qui s’annonçait.
Nous oscillions entre une Ode à ses „Lebensgeister“, ses esprits de Vie, le besoin d’ajouter encore plus de vie à sa vie, de vivre comme si c’était pour toujours, et puis l’Affrontement de sa mort, de tout ce qui allait partir avec elle, de ce que voulait qu’il reste, pour moi, mais surtout pour Cléa. C’était un grand écart qui me semblait inexplicable, incompréhensible pour tous ceux qui ne le vivaient pas de tout près.
Elle a changé de gout, elle a eu la nausée. Elle a mangé plus, puis moins, puis presque rien. Elle a vécu AVEC la maladie, pas malgré elle. Les dernières 2 années et demie ont été si denses, si intenses, elles contiennent bien une décennie.
Grâce au soutien des amis de chaque côté du Rhin, elle a pris la route pour Karlsruhe mi-avril, pour s’installer au rez-de-Chaussée de l’immeuble où nous habitons, Markus, Cléa et moi.
Elle avait tout prévu, tout préparé, mais elle et moi avions chacune nos doutes, la date nous paraissant loin, trop loin. Nous nous le sommes dit le jour J, soulagées mais toujours incrédules.
Et puis une fois à Karlsruhe, son périmètre s’est réduit. Extérieur comme intérieur. Un peu comme avant une naissance. Puis maman s’est engagée vers sa fin. Elle a décidé de partir la nuit du 19.05., mais aucun train n’est passé par là. Petit clin d’œil du destin qui me fait penser à un texte de Rumi qui dit: „Au-delà du bien faire et du mal faire et de vouloir avoir raison existe un espace. C'est là que je te rencontrerai. “
Pendant 9 jours et 9 nuits, les éléments se sont déchaînés. Entre le soleil, le déluge et les arcs-en-ciel, s’est ouverte une fente par laquelle maman s’est glissée doucement. Le matin de son départ, le vent s’est arrêté net. Le ciel s’est dégagé. Le soleil a tenté d’adoucir le Vide qu’elle nous laissait. François son frère et moi, nous avons d’abord été témoin de son silence. Puis le lendemain, du drap blanc de son lit.
Et puis j'ai réalisé que je ne pourrai plus jamais l'appeler. Que la prochaine fois que j’irai à Strasbourg, elle ne m’ouvrira pas la porte. Qu‘elle ne me fera plus jamais découvrir de bouquins.Qu’elle ne violera plus jamais mon intimité, n’enfreindra plus jamais mes limites. Que nous ne ferons jamais notre voyage dans le désert.
Qu’elle ne m’écrira plus pour mes grands jours, elle qui connaissait mon emploi du temps mieux que moi. Maman ne montera plus jamais les escaliers vers mon appartement chargée d’un sac à dos, 2 sacs en tissus, 6 sacs plastique et d’un bouquet de fleurs. Qu’on n’ira plus jamais au cinéma. Qu’elle ne me prendra plus jamais la tête à rester assise jusqu’à la toute fin du générique en bloquant la rangée de spectateurs pressés de faire pipi.
J’ai souvent jugé que maman manquait de discernement, à aimer tout et tout le monde, des repas aux amis… J’ai compris que son cœur était si grand qu'il savait tout contenir, tout le monde. Qu’elle s‘y retrouvait vraiment.
Maman a écrit les lignes qui suivent qui l’illustrent bien : „Écrire pour ne pas tout perdre, ces milliers de bribes, d’instants, de rencontres qui font de la vie un feu d’artifice… Moi qui oublie très vite, qui avale les bons moments sans les digérer…
J’ai toujours le même plaisir à sauter d’une activité à l’autre, d’un lieu à l’autre, d’une personne à l’autre, d’un monde à l’autre. “
Elle a eu le Courage d'aimer, son amour faisait s’évaporer toutes ses déceptions, ses blessures, ses peurs, ses chagrins. Son sourire soleil irradiait les cœurs et les pièces.
Quand elle a été alitée, j’essayais de trouver des mots encourageants. „Tu vas trouver ton chemin, tu as l’habitude de barouder, tu t’y retrouves toujours en voyage. “
„Je n’ai pas peur de me perdre. Et puis si c’est pas le bon, j‘en prend un autre de chemin. “
Voilà comment elle était, pas à cheval sur un certain chemin, pas conformiste, quand même bien instit‘ sur les bords, elle vivait sa vie à fond.
Je renonce à faire son portrait d’avantage, chacun d’entre vous l’a connu à sa façon, et la gardera ainsi.
J’ai envie de dire MERCI à François, mon oncle…… que j’ai découvert en ce mois de mai. Nous nous sommes vus quelques fois depuis la maladie de maman, sans jamais en parler, toujours à distance. C’est sur ces bases que nous nous sommes retrouvés dans le même bateau sous la tempête. Nos langues se sont déliées. Tu as décidé de rester autant qu’il le faudra. Tes gestes envers maman étaient tendres. Tes mots pleins d’humour et de sagesse. Tu n’as pas juste supporté la situation, tu as puisé au plus profond de ce qui restait à faire et tu t‘es dévoilé. Tu as enveloppé maman de tout ton amour de frère et tant qu’elle l’a pu, elle m’a répété son émotion et sa reconnaissance pour ta présence. Tu as assisté à mes pétages de plombs, que je n’avais pas connu de cette intensité depuis ma tendre puberté. Et miracle, tu as su me prendre dans tes bras sur la ligne d’arrivée, tu as trouvé les mots vrais qui m’ont apaisé. Maman a essayé tant de fois de nous rapprocher, de nous faire comprendre à l’un et à l’autre qui nous étions, c’est en lâchant qu‘elle y est parvenue.
Merci à Klaus, mon papa, pour ton soutien sur tous les plans, pour toutes ces heures passées au chevet de maman, pour toutes ces heures en balade avec Cléa.
Merci à toutes ses amies, Claire, Marie, Patricia, Serge et tous les autres, qui nous ont accompagné corps et âme dans cette épreuve.
Merci à Markus, mon homme, qui m’a épaulée pendant tout ce temps de Maladie. Merci pour ta proposition de louer l’appartement à Karlsruhe pour maman. Je suis infiniment reconnaissante d’avoir pu l’accompagner jusqu’au bout.
Merci à vous tous pour vos derniers messages, d’Adieu, d’Amour, d’Amitié. Klaus, François et moi avons appréhendé de vous formuler la demande de maman. Elle voulait vous entendre, vous lire vite, avant qu’il ne soit trop tard, elle ne comptait plus pouvoir profiter d’un hommage posthume. Je vous ai trouvé Courageux, Toutes et Tous, de trouver des mots, de lui partager votre émotion. Votre énergie a envahi sa chambre et nous a porté, elle pour son dernier voyage et nous qui l’accompagnions… Quelques jours avant son départ, je lui ai dit „Tout l'amour de tous ces gens, ça fait un superbe tapis volant“. En hochant de la tête, elle m’a répondu „Je n'ai pas peur de tomber“.
Maman aurait trouvé des mots pour chacun d’entre vous, je suis sûre qu‘ils résonnent en vous sans que j’aie à les prononcer. Merci d’être là.