Petite Grande Soeur - Francois Lion

 

Ce n’est pas très orthodoxe mais une fois n’est pas coutume je ne saurai parler de toi Catherine sans que ce soit un peu de moi, tant nous sommes tissés des même fils, même si, vous en jugerez, le tissu résultant est assez différent.

 

Nous avons découvert le monde ensemble échangeant nos lunettes à loisir.

Il a fallu tant d'années mais ca y est ma grande soeur en quelques semaines tu es d’un coup devenu ma petite soeur.

Encore que trop peu de temps, pour que je te rende tout ce que tu m'as donné.

Longtemps tu m'a servi d'abri, ta bienveillance et ta générosité me permettant de profiter de ton ouverture au monde, à la distance qui me convenait.

 

Toujours à la recherche de nouvelles connaissances, toi aussi de papa tu avais appris la curiosité, mais pour toi la connaissance avait surtout le goût des pays et des gens.

Toujours à vouloir faire le bonheur des autres sans même craindre de les étouffer, maman était passée par là. Attentive et pleine de sollicitude aucun agacement ne pouvait t'en décourager.

Sensible à l’injustice tu avais hérité des deux.

 

Passé l'enfance appliquée et sa félicité, cela avait commencé par des enthousiasmes, des révoltes et de saines colères suivis d’espoirs , d’engagements et d’ utopies partagées.

Comment tu as aimé les lendemains qui chantent, combien de pavés avons nous foulés ensemble, sans ordre, dispersés. Et déjà, les copains d’abord.

Puis des années passées à éveiller le coeur et l’esprit des enfants, leur faire découvrir le monde et miser sur eux pour le faire grandir en beauté, comme tu aurais aimé voir grandir Cléa et les autres.

 

Le temps passant, tes idéaux ne s’étaient pas évaporés, tu en avais encore assez pour te mobiliser mais au fil du temps tu avais compris que pour toi l'essentiel c'était les autres, le contraire de l'enfer, l’injustice à réparer bien sûr mais le fil à tisser tout aussi important que l'étoffe à imaginer.

 

Je ne vais rien vous apprendre de sa générosité tant Catherine était transparente nourrissant si peu d’égo.

Dès les premiers instants toutes les personnes croisées savait à quoi s'en tenir, elles avaient devant elle une égale pour qui tout importait de l'autre.

 

Tu étais ouverte sur les autres mais sans t'en glorifier car tu savais bien que cette communion permanente n'était pas à sens unique que tu en avais besoin pour vivre pleinement, redoutant le moindre blanc qui se serait invité dans la conversation de la vie.

De même pour instiller la joie et pour te convaincre autant que les autres de ce que la vie peut être légère et joyeuse tu ponctuais souvent la fin de tes phrases d’un petit rire enjoué cherchant à embarquer tout le monde vers des contrées plus apaisées.

 

Ces liens que toute ta vie tu as voulu nourrir.

A tel point qu'il y a encore quelques jours tu ne pouvais pas te résoudre à perdre le fil de la conversation et que tu nous as dépêché pour joindre les ami.e.s, et dieu sait s'ils sont nombreuses et nombreux, afin de leur transmettre un dernier au revoir, leur faire tes derniers adieux.

Ultime facétie Petite soeur qui t'as permis de recueillir en retour leurs témoignages d'affection mais aussi comme une sorte de très belle oraison funèbre, chorale et ante-mortem.

Tu me rappelais l'autre jour le mot de notre grand-père parlant de ma grand mère pleine de vitalité : “le jour de son enterrement elle arrivera avant le cercueil à l'église”.

 

Ton courage, ta ténacité et ta générosité ont fait là beaucoup mieux, permettant au passage de renouer et resserrer des liens que la vie et le temps s’étaient chargés de distendre, une dernière fois encore tu as joué ton rôle de passeur.

 

Quand la dernière semaine je t’ai fait remarquer que l’on était dans les commémorations de la semaine sanglante de la Commune de Paris, dans un souffle  avec le peu de ce qui te restait de voix, tu m’a juste dit “je sais”

et moi je sais ce qu’il y avait d’histoires et de culture partagée derrière ces mots.

Aussi il me plait de penser que tu es partie un 28 Mai,  que tu ai attendu le dernier jour de la Commune pour prendre ton envol

comme depuis une derrière barricade à défendre, avec les camarades qu’on ne peut se résoudre  à quitter.

Petite soeur tu as choisi de partir habillée de coquelicots.

Comme elle te va bien cette humble fleur des champs et des talus à la vie brève mais qui pendant ce court laps de temps éclaire de sa lumineuse ardeur rouge le paysage au coeur, appelant à la lutte tout autant qu’à l’amour.

 

Désolé d’être un peu long, tu dois m’avoir contaminé Catherine. “Désolé” c’était le mot de Catherine lorsqu’elle croyait, malgré tous ses efforts, ne pas être parvenue à contenter les autres.

Mais je vais m'arrêter là pour que dans votre malheur vous puissiez apprécier la toute petite consolation que vous avez que Catherine nous ait faussé compagnie la première, contrairement à l'idée, pour moi toute naturelle, que j’eusse du partir avant elle.

Confiant dans ses capacités de gérer bien mieux que moi le déluge, j'aurais sans doute voulu une dernière fois me reposer sur toi petite soeur.

Le sort en a décidé autrement  mais imaginez si Catherine avait du faire mon oraison funèbre, vous seriez moins nombreux c’est sûr, mais vous ne seriez certainement pas couché.e.s tant Catherine aimait parler , n’aimait pas résumer.

Sa vie elle s’en ait pourtant fait un petit résumé, accomplissant un de ses rêves anciens en partant seule une dernière fois à la découverte des autres, en prenant le Transibérien qui va de l’Oural à l’Amour, tout un programme.

 

Je vous laisse donc chacune chacun prolonger la conversation avec elle dans votre fort intérieur, partager à jamais son grand sourire rieur.

Et pour que Catherine ne parte pas seule il m'est doux de nommer ici , entre tant d’autres parti.e.s les premiers : Jean-pierre, Pierre, Franck, Carole, Véronique et Bastien qu'elle a si bien su accompagner de leur vivant.

L’impossibilité de penser la mort rend la survie déroutante.

Je pourrai vous dire comme l’écrivait Henri Calet, “ne me secouez pas, je suis plein de larmes” mais je préfère encore,  plus en accord avec Catherine, l’injonction de Georges Perros “Faut aimer la vie” et sa variante que Catherine a porté toute sa vie “Faut aimer les autres”.

 

Petite soeur tu t’es arrêté de grandir, il me faut maintenant essayer de poursuivre pour arriver à ta hauteur.

Et comme je l’ai entendu dire de  Prune ou Gaspard à propos de leur tante, je souhaite à chacune et chacun d'entre vous d'avoir une soeur aussi chouette que toi ma grande petite soeur,

Catherine.

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